<h1>Noelfic</h1>

[Confédération][3] Semper et Ubique


Par : Gregor

Genre : Science-Fiction , Action

Status : C'est compliqué

Note :


Chapitre 27

Publié le 10/09/14 à 13:13:05 par Gregor

Cyrill adressa furtivement quelques mots de remerciement au pilote, et le bénit. Il sortit en dernier du véhicule de liaison, découvrant pour la première fois la doline gigantesque prénommée le tombeau désert. Au centre de la dépression, éloigné de plus d'un kilomètre du site d’atterrissage, se dressait la plate-forme de pierre taillée sur l'emplacement où serait décédé le Très Saint Magister Oddarick. L'ensemble luisait sous un soleil de plomb, et Cyrill nota que quelques officiers parmi ceux qui avaient pris place dans la navette s'épongeaient le front se plaignait de la température. Mais ni Flinn, pourtant plus apte à vivre dans des contrées plus froides, ni Guillhem ne pipaient mots. Il en tira une certaine fierté, et les rejoints, un sourire timide en coin.
En tendant l'oreille, il pouvait entendre les suppliques, les lamentations et les prières s'échapper du cortège confédéré qui s'étirait en une longue file ordonnée. La foule grossissait de minute en minute, chaque navette apportant son cortège de dévots et de fidèles triés avec soin pour célébrer le triste anniversaire. Le service funéraire démarrerait d'ici à trente minutes, suivi par de longues litanies et oraisons rédigées de longue date, ponctuées par les choeurs chantant les gloires passées du défunt Magister.
Cyrill nota également l'absence du Très Saint Magister Siegfried. Si ce dernier était attendu et ne manquerait pas de remplir son office avec tout le soin que requérait sa position, il n'avait indiqué à quel moment il se présenterait à la foule. Son propre vaisseau n'avait pas été signalé par les Navigateurs alors que le Major Inquisiteur embarquait dans la navette. Il restait malgré tout confiant. Le Très Saint Magister, malgré son jeune âge, pouvait déjà se targuer d'un règne de quinze longues années. Sa ponctualité était entrée dans la légende, de la même façon que son sens de l'ordre et sa rigueur morale. Cyrill avait pris bien soin de former le dirigeant à la Sainte Docte de la façon la plus explicite possible. Même son père, le Commandus Magnus Mac Mordan, ne s'y était pas opposé, y trouvant au contraire une forme de légitimation du pouvoir séculier face à la méfiance naturelle des branches spirituelles de la Confédération.

— Cyrill ? le héla Flinn.

L'homme lui adressa un signe de la main, et rejoint le Naneyë, toujours secondé de son disciple.

— Voulez-vous que je fasse venir un véhicule pour vous emmener jusqu'au tombeau ?
— J'ai beau avoir près de soixante-dix ans, je ne suis pas encore impotent, Flinn. L'attention me touche, mais j'avalerais le chemin comme je l'ai toujours fait depuis que nous nous rendons en pèlerinage.

Flinn hocha respectueusement la tête.

— Le discours est-il prêt ?
— Oui, tout est prêt. Mais peut-être souhaitez-vous y jeter un dernier coup d'œil ?
— Inutile, fit Cyrill en secouant la tête. Tu as toute ma confiance, Flinn.
— Vous m'honorez.

Il n'eut pour seule réponse qu'un large sourire, et reprit le chemin poussiéreux qui serpentait dans le vallon desséché.


Plus ils descendaient, plus l'atmosphère devenait lourde. Cyrill se murait dans un silence où ses traits contrits constituaient les barreaux d'une prison de sentiments forts, vivants. Sous la carapace de l’inquisiteur apparaissait une humanité en forme de craquelures douloureuse. Le dévot fanatisé depuis sa plus tendre enfance resurgissait comme un jeune homme fougueux qui revivait les étapes d'un deuil jamais digéré. Alors que le groupe touchait aux buttes, Guillhem nota que son mentor pleurait, un sanglot silencieux simplement troublé par les larmes qui perlaient et s'écrasaient grassement dans la poussière. Il n'essayait même pas de cacher son attitude, ses pattes soigneusement tenues le long de son corps de géant blanc. Guillhem éprouvait des difficultés à comprendre ce sentiment général qui semblait enchaîner les plus vieux participants de cette expiation d'un monde pour l'échec d'un seul Homme, aussi grand et béni fût-il. Il ne savait pas exactement ce qui avait conduit le Très Saint Magister Oddarick sur cette planète, aussi loin de la sphère d'influence de la Confédération, pas plus que le motif qui avait conduit au drame et à la honte suprême de sa solitude finale. On l'avait retrouvé cinq longues années plus tard, son corps soigneusement maintenu dans un cocon de stase dressé par la poignée de serviteurs qui l'avaient suivi dans son acte final. La dague qui, disait-on, lui avait donné la mort, encore plantée en travers de son crâne. Les enregistrements visuels du petit vaisseau magistral confirmaient hélas l'acte suicidaire, ponctué de paroles incompréhensibles. Comment en était-il arrivé là ? Aucun individu ne s'était risqué à une conclusion définitive. Cinq années de transit dans le gel protecteur d'un cocon de repos avaient effacé les possibles indices, et la Sainte Cléricature avait préféré ne pas rouvrir le débat. La nouvelle avait secoué si profondément la Confédération qu'il gardait encore quelques souvenirs fugaces d'une journée troublée à la Basse Académie, et les traits tirés de son père lors de la cérémonie funèbre qu'il avait suivi sur l'holo de l'appartement familial. Il ne pouvait pas vraiment imaginer le choc qui avait ébranlé la Sainte Cléricature, se souvenant simplement de quelques cas de suicides parmi les plus fervents fanatiques. En revanche, la petite crise de succession qui avait suivi restait ancrée dans son esprit. Le renoncement du Commandus Magnus à ses prétentions sur le trône magistral avait titillé sa curiosité, tandis qu'il avait découvert le visage presque juvénile de son fils, alors simplement Siegfried Mac Mordan. La barbe naissante, le regard déjà vif, alors qu'il n'était encore qu'un jeune homme effectuant les derniers actes de ses classes militaires. Il avait eu l'impression troublante de rencontrer le grand frère spirituel qu'il n'avait jamais connu, s'était montré plus curieux qu'à son habitude quand il était monté sur le trône, fraîchement mécanisé. Il n'y avait là que les prémices d'une loyauté naissante, qui avait guidé sa jeune vie tout au long de ses aventures. Et dans la chaleur montante, étouffante et moite, il espérait secrètement entrapercevoir le héraut du seigneur Mécanique. Il ignorait encore tout des surprises qu'il allait rencontrer.


Dix minutes avant que la longue note crachée par la centaine de cors cérémoniels ne résonne, la silhouette longiligne du transport personnel du Très Saint Magister Siegfried se posa sur les hauteurs de la doline. Un transport antigrav s'en échappa, disque de bronze flottant au dessus du sol piqueté d'herbe grillée, et se posa à quelques pas du tombeau désert. Accompagné d'une suite réduite à sa plus simple expression — trois serviteurs et deux Nobles Clercs qui portaient ses attributs — le maître suprême de la Confédération se présenta à la foule de ses fidèles. Dans un geste commun, tous s'étaient agenouillés, courbant la tête, certains récitant en murmurant leur Serment. Sans mot dire, le Très Saint Magister Siegfried invita son peuple à se relever, et se dirigea d'un pas franc vers la structure de pierres sèches assemblées pour former la croix inclinée caractéristique du régime. Son corps mécanique enchâssé dans un exosquelette doré à l'or fin renvoyait les rayons crus du soleil local, tandis qu'une couronne de laurier du même métal ceignait sa tête. Ses cheveux soigneusement brossés et sa barbe taillée selon des motifs complexes en forme de spires étaient les éléments les plus notables de son apparence physique, tandis que l'implant oculaire et la lourde cape qui le couvrait semblaient n'être que des détails mineurs. Ses traits lisses laissaient à voir un homme dans la force de l'âge, moins impressionnant que certains cyborgs, mais dont l'aura étincelait largement. Le pouvoir s'incarnait en lui avec naturel et aisance, chef incontestable que tous ici admiraient, Guillhem en tête.

Une cohorte de Nobles Clercs invita le Très Saint Magister à s'installer sous un dais somptuaire. Il les suivit et s'assit dans un trône couvert de tissus luxueux, tandis que le ballet des fidèles s’inclinait et répétait les gestes usuels en lui tendant ses attributs. Un globe fut disposé à ses côtés, tandis qu'il scrutait la foule, et lança un sourire discret à l'adresse de Cyrill. Ce dernier ne put s'empêcher d'incliner à nouveau la tête d'un air décidé, empli de fierté. Le Très Saint Magister était pour lui l'image la plus proche d'un fils adoptif. Lui qu'il avait vu grandir et qu'il avait pris sur ses genoux siégeait à présent en majesté si loin de la Terre, occultant pour un temps la tristesse par un sentiment d'orgueil parmi ses Hommes.


— Puisse le Dieu-Machine nous protéger maintenant et à tout jamais. Bénis soit Sa gloire, entama le Très Saint Magister.
— Bénie soit de Sa Gloire, reprit la foule.

— Souviens toi, Ô mon peuple, de celui qui nous quitta dans le silence de ce lieu. Souviens-toi de la douleur et de l'affliction que nous causa sa perte, lui que le Seigneur Mécanique rappela à lui par l'action de sa mort. N'oublie jamais combien il fut bon. N'oublie jamais combien il fut puissant. N'oublie jamais combien il fut loyal.

— Nous n'oublions pas.
— Puisse le nom du Très Saint Magister Oddarick vivre longtemps dans nos cœurs, comme le synonyme d'un être parfait, digne et premier serviteur de Sa loi. Que sa mort soit un rappel à nos conditions mortelles, que jour après jour nous repoussons grâce à Son savoir.

— Puisse son nom vivre maintenant et à jamais.

Il se saisit du globe, se leva, et le porta au-dessus de sa tête.

— Prions, Ô mon peuple, pour que son âme nous guide à travers Son œuvre et sa sagesse.

La foule s'agenouilla. Un murmure puissant parcourut la large foule. Le Très Magister Siegfried se rassit. Le cri des cors enveloppa le lieu d'une ambiance lourde durant de longues secondes. Un Noble Clerc se présenta face à lui, et entama à son tour une prière qui résonna avec le même écho sinistre que les instruments éclatants qui venaient de se taire.


Cyrill se releva. Un ordre échoué sur son terminal com, lancé par un des inquisiteurs présents auprès du Très Saint Magister lui indiquant qu'il pouvait le rejoindre. Délaissant Flinn et Guillhem, il s’avança d'un pas lourd vers le dais. Après s'être incliné avec déférence face au maître de la Confédération, il se retourna vers la foule. Les cursives du discours se matérialisèrent son champ visuel, il les scruta attentivement, avant de les faire disparaître.

— Mes frères, je n'ai pas l'habitude de m'exprimer face un public si nombreux. Mais je sais que dans votre bienveillance, vous excuserez peut-être les penchants affectifs qui terniront parfois mes mots. Bon nombre d'entre nous ont pu côtoyer le Très Saint Magister Oddarick de son vivant, et tous, nous pouvons attester de son engagement pour conduire notre Humanité vers les sentiers de la gloire et de l'honneur. Le Culte de la Machine l’imprégnait jusqu'au fond de son être, et toujours, il porta les intérêts du Dieu-Machine avec force convictions. Il fut un modèle de droiture et d'inflexibilité, même lorsque la position de la Confédération fut menacée. Je me souviens encore de notre entrevue alors que je m’apprêtais à embarquer pour Bételgeuse-Six, afin d'aller exterminer la vermine hérétique qui s'incarnait dans le traître Alexeï Pasternak. Pour l'éclat de son nom, j'ai sacrifié mon corps et j'ai aidé le futur Commandus Magnus, le très révéré Gregor Mac Mordan, à détruire l'esprit impie qui résidait dans cet homme. Pour sa gloire, j'ai survécu, portant son nom sur des mondes reculés et hostiles où notre présence a fini par porter les fruits de la richesse et de l'ordre. Je n'ai pas honte de vous les dire, mes frères, le Très Saint Magister Oddarick fut pour moi ce modèle étincelant qui animait et qui anime toujours ma foi, le porteur de Sa docte qui je chérie plus que ma propre vie. Nous ne devons jamais oublier, malgré l'horreur de sa disparition, le legs laissé à son successeur, notre aimé et Très Saint Magister Siegfried. Nous ne devons pas oublier non plus combien notre foi surpasse les contingences de nos existences. Je sais aussi que certains considèrent que sa mort n'est pas le fruit du hasard, mais par pitié, mes frères, ne nous querellons pas en son nom. Regroupons-nous derrière notre maître, et obéissons à ses ordres. Ne semons pas le doute, nous qui incarnons l'ordre et l'obéissance. Voilà sans doute le plus bel hommage que nous pouvons au Très Saint Magister Oddarick. Lui qui à présent veille sur nous dans la gloire du Dieu-Machine.

Pas un applaudissement ni une parole ne vinrent ternir le silence qui se substitua à la voix chaude et caverneuse du Major Inquisiteur. Cyrill retourna retrouver sa place parmi la foule, et le service reprit sa longue litanie, à nouveau ponctué par le chant lamenté des cors cérémoniels.

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